Disparus de l'Isère : histoire d'un dossier perdu oublié et enfin rouvert

 

Disparus de l'Isère : histoire d'un dossier perdu oublié et enfin rouvert

2000002982373Les enfants disparus de l'Isère.

La chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Grenoble a rendu sa décision : elle rouvre le fameux dossier des enfants disparus de l'Isère.

Dossier

Le dossier des enfants disparus dans l'Isère va être rouvert : la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Grenoble a rendu sa décision mardi 23 juin, après que les avocats des familles ont fait appel de décisions de non-lieu.

Juges 

Deux juges d'instruction vont donc relancer les enquêtes sur les disparitions de Charazed Bendouiou, 10 ans, disparue à Bourgoin-Jallieu en 1987, et Ludovic Janvier, 6 ans, disparu à Saint-Martin-d'Hères en 1983.

Grégory Dubrulle

Ils vont aussi tenter d'élucider enfin l'enlèvement de Grégory Dubrulle, survenu à Grenoble en 1983 alors qu'il avait 7 ans. Violé et laissé pour mort sur une décharge publique, il a aujourd'hui 38 ans et veut comprendre.

Terrains

Les terrains vagues autour de la rue Adrien-Ricard à Grenoble ont disparu. Un tribunal et des logements ont poussé à la place. Mais la barre d'immeuble, où vivait Grégory Dubrulle, n'a pas bougé. 

Appartement

Il montre les fenêtres de l'appartement où il a grandi, au 2e étage. Et la marche du hall 4, celle sur laquelle il était assis, torse-nu et short bleu, quand un homme en voiture lui a demandé comment sortir de ce chemin. 

Grégory

C'était le 9 juillet 1983, Grégory avait 8 ans. Il s'est retrouvé au pied du siège passager, il pleurait. Il voit encore, trente ans plus tard, le petit joueur de foot qui pendait au rétro, les jambes de son ravisseur qui portait un short. Puis plus rien, "le trou noir".

Familles

Mais pour lui comme pour les familles des trois autres garçons et cinq filles volatilisés ou assassinés dans la région entre 1980 et 1996, le mystère reste entier. 

Affaire

C'est l'affaire des "disparus de l'Isère". Des cold cases, des dossiers anciens jamais résolus, tous frappés d'un non-lieu deux à trois ans après les faits. La justice les a oubliés, jusqu'à les condamner parfois au silence définitif en détruisant des scellés.

Souffrances

Si vingt ou trente ans ont passé, les familles de ces enfants disparus ou tués vivent toujours au présent ces souffrances d'hier, des drames qui ne passent pas.

Meurtres

Elles entendent parler des meurtres de l'A6, des disparues de la gare de Perpignan. Des affaires qui, près de vingt ans après les crimes, aboutissent à l'interpellation de suspects, confondus grâce à l'évolution des méthodes de la police scientifique.

Presse

Elles lisent dans la presse que policiers et gendarmes ont été invités par leur hiérarchie à étudier tous les dossiers dormants à la lueur des nouvelles techniques.

Mots

"Mais tout ça, ce ne sont que des mots", enrage Férouze Bendouiou, dont la sœur a disparu le mercredi 8 juillet 1987 à Bourgoin-Jallieu. Charazed avait 10 ans. Elle a descendu une poubelle, elle est allée jouer, et personne ne l'a revue. En 1989, la justice a prononcé un non-lieu. Férouze n'a jamais lâché.

Survivant 

Grégory Dubrulle est un survivant. j'ai un truc cassé au fond de moi, et de la haine. Je vois de grands hommes pris la main dans le sac, à qui il n'arrive rien. Et nous, qui avons été victimes du pire, on ne nous regarde même pas. S'il y a une justice, je voudrais savoir pour qui ?"

Grégory Dubrulle

Grégory Dubrulle est revenu à lui le 10 juillet 1983 à 26 kilomètres de son domicile, sur un tas de déchets où son agresseur l'avait laissé pour mort, étranglé et le crâne fracturé. Il se souvient : j'avais comme de la gelée dans les cheveux, des mouches tournaient autour de ma tête."

Rampé

L'enfant a rampé jusqu'à une petite route en terre, où un automobiliste l'a secouru. Il a été entendu quatre, cinq fois dans les mois qui ont suivi les faits. Puis plus rien. Virginie et Jérôme Janvier n'ont plus jamais eu de nouvelles de leur frère Ludovic, 6 ans, depuis le 17 mars 1983, date de sa disparition à Saint-Martin-d'Hères.

Cigarettes

Il était parti acheter des cigarettes pour son père, avec Jérôme et leur plus jeune frère. Sur le chemin du retour, ils ont croisé la route d'un homme en bleu de travail, avec un casque sur la tête. Jérôme raconte.

Chien

Il nous a dit avoir perdu son chien-loup. Que si nous l'aidions à le retrouver, il nous achèterait des bonbons. Il nous a envoyés, mon petit frère et moi, dans une direction. Et il a embarqué Ludovic par la main dans l'autre sens."

Enquêteurs

Les enquêteurs ont suivi une fausse piste, puis abandonné. "Ils sont allés chercher notre père sur son lieu de travail, pour l'attacher à un radiateur et lui taper dessus avec des bottins, pensant qu'il avait vendu son fils", s'indignent Virginie et Jérôme. Le nom de Ludovic est tatoué sur le bras de sa mère, qui survit, achète fleurs et gâteau chaque année pour l'anniversaire de son fils disparu. 

Mort 

Le père Janvier "est mort de chagrin en 2007". Les frères et sœurs de Ludovic font la liste des questions laissées sans réponse par une justice qu'ils disent "sourde".

Disparitions

Et si ces disparitions avaient des points communs ? Les avocats Didier Seban et Corinne Herrmann ont harcelé la justice pour qu'elle daigne sortir ces affaires de l'oubli, et procède au rapprochement de ces dossiers, dont les victimes, toutes issues de milieux plutôt défavorisés, ont disparu dans la même zone géographique.

Cellule

La cellule Mineurs 38 a été mise en place pour croiser dix affaires. Douze gendarmes devaient reprendre les procédures à zéro. C'était une première en France, un grand espoir pour les familles. Mais Férouze n'a vu ni juge ni enquêteur." Pas même un coup de fil, rien. Veut-on me faire croire que ma sœur n'a même jamais existé ? C'est ce que je finis par me demander..."

Disparues

Les avocats Seban et Herrmann eux-mêmes n'en reviennent pas. Ils ont pourtant de l'expérience. Ils ont défendu les familles des disparues de l'Yonne.

Conseils

Ils sont aussi les conseils des mères dans les "meurtres de l'A6", et des parents de plusieurs jeunes femmes tuées dans la Somme. Aujourd'hui, ils représentent six familles dans l'affaire des disparus de l'Isère : nous n'avons jamais connu ailleurs un tel niveau de mépris social à l'égard des familles."

Parcours 

Depuis 2008, cette aventure judiciaire ressemble à un triste parcours du combattant. Dossiers égarés, scellés détruits, calculs de prescriptions inexacts, les obstacles ont été nombreux. "Il existe une réelle dichotomie en France : les discours politiques promettent qu'on ne laissera pas un assassin courir les rues, et la réalité permet précisément le contraire", dénonce Didier Seban.

Michèle Alliot-Marie

En 2010, la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, avait même lancé une enquête de l'IGSJ (Inspection générale des services judiciaires) concernant la disparition, voire la destruction, d'ossements découverts en février 1985 dans une grotte du Vercors à côté de Grenoble. Restes d'enfant, dont les parties civiles demandaient qu'ils soient comparés aux ADN des victimes.

Ludovic Janvier

Et notamment à celui de Ludovic Janvier, disparu à 6 ans. En 2011, la procureure générale alors en poste dans l'Isère, Martine Valdès-Boulouque, indiquait par courrier à Me Seban que "l'important travail de tri et de rangement des scellés n'a pas permis de retrouver les ossements" en question.

Chancellerie

Puis la chancellerie annonce que la justice a remis la main dessus. Et qu'elle aurait procédé à quatre expertises génétiques, concluant à l'absence de rapport entre les ossements et Ludovic Janvier.

Quatre ans à l'attente de ce résultat. Ce que la famille de ce dernier ignore, "alors qu'elle est pendue depuis quatre ans à l'attente de ce résultat, précise Me Corinne Herrmann. Rien ne nous a été notifié, pourquoi ?

Cadavre

Et si ce cadavre n'est pas celui de Ludovic Janvier, de qui s'agit-il ? D'un autre enfant, assassiné dans l'Isère ?" Un tas de questions formulées dans des requêtes répétées que la justice grenobloise a choisi de laisser sans réponse.

Joséphine Scaramozzino

Le 26 novembre 2013, la magistrate Joséphine Scaramozzino, chargée des affaires Grégory Dubrulle, Ludovic Janvier et Charazed Bendouiou, a notifié aux parties civiles la fin de ces instructions. Pourtant, il y a encore du travail. Chantal, la maman de Grégory, indique :

Scellés

Parmi les scellés dans le dossier de mon fils, je me souviens très bien qu'il y avait une grosse pierre, et une lanière en plastique blanc, plein de sang ainsi qu'une sandalette. 

Recherches 

Ne peut-on pas procéder à de nouvelles recherches génétiques sur ces pièces, si elles existent toujours ?" Et les pistes à explorer ne manquent pas. "Il apparaît notamment que plusieurs enfants étaient en contact avec des personnes handicapées ou des professionnels de ce secteur, susceptibles de se déplacer et d'intervenir en différents lieux dans la région", note l'avocate. Grégory Dubrulle avait un beau-père handicapé. Lui et Anissa Ouadi étaient suivis en orthophonie. Charazed Bendouiou bégayait. Ludovic Janvier vivait chez un oncle, où un cousin handicapé voyait un orthophoniste.

Demandes 

Malgré de nombreuses demandes, la justice n'a pourtant ordonné aucune investigation dans ce milieu. Me Didier Seban s'insurge : C'est une manière de renvoyer toutes ces familles à leur place, condamnées à vie à la peine et aux larmes. Et on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif !"

Analystes

Pourtant, dès 2009, il y avait à boire. Les analystes criminels du Centre technique de la gendarmerie nationale (CTGN) concluaient à une "compatibilité entre les constatations faites sur les ossements X et les deux affaires Dubrulle Grégory et Ladoux Fabrice", et affirmaient que "l'hypothèse d'un auteur unique pour les affaires Janvier/Dubrulle/Ladoux ne peut être écartée". 

Creusée

Et devrait même être creusée : les analystes de la gendarmerie pointaient déjà la probabilité d'un même meurtrier dans les dossiers de Saïda Berch et Sarah Syad, 10 et 6 ans, retrouvées elles aussi assassinées en Isère, en 1996 et 1991. Ils ne se trompaient pas et la justice a suivi, prouvant que quand elle veut, elle peut.

Expertise

Elle a ordonné l'expertise des scellés dans les dossiers Sarah Syad et Saïda Berch en 2013. Une trace de sperme est apparue sur le chemisier d'une victime. 

Georges Pouille

Comparée au Fnaeg (fichier national automatisé des empreintes génétiques), cette signature a "matché" avec celle de Georges Pouille, 38 ans, père de famille, dont l'ADN a été prélevé en 2005 pour "conduite sous l'emprise de stupéfiants et défaut d'assurance".

Paul Michel

Pour Paul Michel, procureur général en Isère, la mise en examen de cet homme pour meurtres, vingt-deux ans après les faits, "consacre la détermination de l'institution judiciaire". 

Succès

Un succès grisant, qui aurait dû conduire à la relance des autres dossiers de l'Isère. Mais, en janvier 2014, le parquet de Grenoble a choisi de requérir trois non-lieux dans les affaires Charazed Bendouiou, Grégory Dubrulle, et Ludovic Janvier. Déterminé à enterrer le mystère de ces enfants disparus.

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