Tuerie du Grand-Bornand : l'affaire Flactif une histoire de jalousie
Tuerie du Grand-Bornand : l'affaire Flactif une histoire de jalousie
Le chalet de la famille Flactif, au Grand-Bornnand Crédit : JEAN-PIERRE CLATOT / AFP
En 2003, Xavier Flactif, sa femme et leurs trois enfants disparaissent du jour au lendemain mystérieusement de leur domicile au Grand-Bornand, en Haute-Savoie. Ce n'est que quelques mois plus tard que le doute sera définitivement levé.
Vacances
Le samedi 12 avril 2003, Mario, 14 ans, vient passer les vacances de Pâques chez sa mère, Graziella, une femme de 36 ans, remariée au promoteur immobilier Xavier Flactif.
Haute-Savoie
Ils habitent en Haute-Savoie, dans la commune du Grand-Bornand. Mario va pouvoir retrouver son demi-frère, Grégory, 7 ans, et ses demi-sœurs Laetitia et Sarah, 9 et 10 ans.
Beau-père
En arrivant, Mario n'aperçoit pas le Toyota 4X4 rouge de son beau-père. Il n'y a personne pour ouvrir la porte et sa mère n'est pas joignable. La gendarmerie est avisée de cette absence qui paraît pour le moment temporaire.
Soirée
Dans la soirée, les restaurateurs du coin entrent dans le chalet par une porte-fenêtre qui n'était pas verrouillée. La maison est vide, il n'y règne aucun désordre, tout a été rangé.
Lendemain
Le lendemain matin, après une nuit d'attente, Mario retourne sur place. Il remarque deux ordinateurs allumés, un dossier dans la cheminée, des lits sans draps.
Gendarmes
Les gendarmes arrivent sur place, une cinquantaine de militaires quadrillent le secteur du Grand-Bornand. La rivière du Borne est explorée comme les rives du lac d'Annecy, à la recherche du 4X4 rouge. Un hélicoptère survole les lieux, mais rien.
Techniciens
Le 20 avril, huit techniciens de l'Institut de recherches criminelles de la Gendarmerie, l'IRCGN, s'installent pour trois jours dans le chalet. Au sous-sol, un carré de moquette murale a été découpé.
Douille
Une douille de petit calibre, provenant sans doute d'un pistolet automatique, est retrouvée au dernier étage. Le 22 avril, le procureur d'Annecy ouvre une information judiciaire pour enlèvement et séquestration.
Parking
Le 13 mai 2003, le Toyota Land Cruiser est retrouvé sur un parking de l'aéroport de Genève, généralement fréquenté par les frontaliers. Le véhicule a lui aussi été nettoyé, un morceau de moquette a été découpé au cutter.
Traces
Il y a des traces de sang. Le père, Xavier Flactif, acculé par des déboires financiers, aurait-il commis l'irréparable ?
Locataire
Ce n'est que quelques mois plus tard que le suspense sera totalement levé, avec une issue plutôt inattendue... Le locataire du chalet, David Hotyat, est vite mis en cause. La jalousie serait au centre de l'affaire.
Étude
Ou comment l’étude des dents des victimes et des traces de sang ont permis d’éclairer les circonstances du quintuple meurtre du Grand-Bornand en 2003.
Affaire
Cette affaire criminelle qui a défrayé la chronique à la suite de la disparition et des meurtres d'un promoteur immobilier nommé Xavier Flactif, de sa femme Graziella et de leurs trois enfants, est racontée par une équipe de journalistes de "les jours" en immersion au PJGN.
Enquêtes
Ils racontent de l'intérieur la plus grande enquêtes sur des meurtres que la science aide à résoudre...
Identité
Nous avons tous une véritable carte d’identité en bouche. On peut identifier quelqu’un, même s’il n’a jamais reçu aucun soin dentaire, sur la base d’un panoramique ou d’une radio intrabuccale de deux ou trois dents.
Aimé Conigliaro
Nous dit posément Aimé Conigliaro, d’un air un rien mutin, quand il nous reçoit dans son bureau, lunettes rondes sur le nez et cravate aux tons violets impeccablement nouée autour du cou.
Dents
La courbure de la racine des dents, la forme d’un canal radiculaire, la forme des sinus : tout cela permet de nous « différencier », insiste-t-il, montrant un poster au fond bleu duquel se détache des photos en noir et blanc de rangées de ratiches enclavées dans une mâchoire.’
Expert
À 63 ans’, l’expert en odontologie médico-légale, qui a rejoint l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) en 1997, a vu passer sous son microscope quantités d’émaux différents.
Le Grand-Borrnand en Haute-Savoie.
Interventions
De toutes ses interventions il se souvient particulièrement de celle en 2003 au Grand-Bornand Après quelques heures de recherches, un technicien en identification criminelle, un TIC, présente à Aimé Conigliaro de petits éléments blancs qu’il a trouvés dans les interstices qui séparent les lattes du plancher.
Morceaux
« Il me demande si ce sont des morceaux de dents. Leur texture et leur forme me font penser que ça peut effectivement être de l’émail dentaire », explique l’expert.
Laboratoires
Plus tard, de retour dans ses laboratoires, il examine les nombreux prélèvements et confirmera qu’il s’agit bien d’émail humain, provenant de dents de lait.
Microscope
« Au microscope électronique à balayage, l’émail humain a un maillage particulier, en forme de nid d’abeilles, différent de celui de tous les autres animaux », poursuit-il.
Découverte
Cette découverte, ajoutée à celle d’une douille de petit calibre et ainsi qu’à celle de traces de sang, soigneusement lavées mais encore visibles au révélateur Blue Star, permettent au parquet d’Annecy d’ouvrir une information judiciaire pour « enlèvement et séquestration ».
Sang
Les traces de sang prélevées sont analysées. Le 5 mai 2003, le procureur de la République révèle à la presse qu’elles contiennent les ADN des cinq membres de la famille Flactif ainsi que celui d’un inconnu.
Prélèvements
Commence alors une gigantesque campagne de prélèvements d’ADN. Plus d’une centaine sont effectués, en commençant par l’entourage proche des Flactif. Début juillet, le sixième ADN est identifié.
David Hotyat
Il désigne David Hotyat, voisin de la famille et locataire d’un de leurs chalets.
Écoute
Après l’avoir placé un moment sur écoute afin d’accumuler les éléments de preuve du quintuple meurtre dont ils le soupçonnent, les gendarmes interpellent le mécanicien et trois complices, le 16 septembre 2003.
Aveux
Dès les premières heures de sa garde à vue, l’homme passe aux aveux et conduit les enquêteurs dans la forêt de Thônes, à une dizaine de kilomètres du Grand-Bornand, où il dit avoir incendié les cinq corps.
Aimé Conigliaro
Aimé Conigliaro se rend de nouveau sur place avec plusieurs de ses collègues. Les gendarmes espèrent trouver des preuves de la présence des parents et de leurs trois enfants sur les lieux, mais il ne reste quasiment rien des cadavres calcinés.
Crémation
Les dents sont les parties les plus dures du corps humain et les moins susceptibles, avec les os, d’être parties en fumée. « Nous avons délimité des petits carrés de 20 centimètres de côté dans le foyer de crémation » .
Éléments
À chaque carré, était associée une équipe qui y enlevait les gros éléments puis tamisait ce qui restait, explique l’expert.
Endroit
« L’endroit était très escarpé et il avait beaucoup plu depuis le mois d’avril. L’eau avait ruisselé et nous pensions qu’elle avait pu emmener avec elle ce que nous recherchions » .
Investiguer
Alors nous avons décidé d’investiguer aussi les contrebas du foyer. » Ils retrouveront, de fait, des ossements et des morceaux de dents dans de grosses canalisations d’eau situées à distance de l’incendie originel ».
Travail
Un travail très méthodique décrit Aimé Conigliaro dont le but principal est d’identifier les victimes et de confirmer que leurs corps ont tous été éliminés par le feu.
IRCGN
Revenu à l’IRCGN, l’équipe du département « médecine légal et odontologie » isole et comptabilise tous les morceaux de dents avant d’essayer de les faire coïncider les uns avec les autres.
Puzzle
Un puzzle monocolore en 3D. « Une fois les dents reconstituées, pour celles en tout cas qui étaient en morceaux, nous avons pu identifier s’il s’agissait de molaires, d’incisives ou de canines. Voir lesquelles avait fait l’objet de soins dentaires. Et définir également le degré d’évolution de leurs racines », détaille le presque retraité.
Retrouvé
Nous avons retrouvé dans le foyer et dans les canalisations des éléments prothétiques des deux parents, ce qui nous a permis de les identifier. Aimé Conigliaro, expert en odontologie médico-légale de la gendarmerie en amont de ce travail, Aimé Conigliaro a en effet contacté les dentistes des Flactif.
Données
Et leur a réclamé toutes les données nécessaires à son analyse. « Je demande les schémas dentaires, les radios, des informations sur la présence de prothèses : appareil dentaire en résine, couronnes, bridges » , précise-t-il.
Dentistes
Lorsque les dentistes ont un modèle en plâtre de la denture de leurs patients, c’est pour lui la panacée. « Nous avons retrouvé dans le foyer et les canalisations des éléments prothétiques des deux parents, ce qui nous a permis de les identifier, retrace l’expert ».
Information
« Mais nous n’avions obtenu aucune information sur la dentition des enfants. » Alors il lui a fallu associer un âge aux dents reconstituées pour les attribuer à chacun des trois enfants.
Schémas
Plusieurs schémas décrivant l’évolution au cours du temps des éruptions dentaires, la position des dents définitives et celle des dents de lait en fonction de l’âge lui permettent de faire cette évaluation.
Représentation
Grâce notamment à la représentation établie en 1941 par Isaac Schour et Maury Massler, anciens chercheurs de l’Université de l’Illinois à Chicago, pionniers dans les sciences odontologiques.
Dentition
Un schéma qui décline, en jaune et en bleu, l’évolution de la dentition humaine entre 5 mois in utero et 35 ans. Car Aimé Conigliaro l’affirme au journaliste surpris qui lui fait face : non, il n’y a pas de grande variabilité entre individus sur ce point.
Rapport
« Une fois que j’ai rédigé mon rapport et que je l’ai envoyé à l’enquêteur, mon travail est fini », explique l’expert.
Convocation
« Je ne me replonge dans l’affaire que lorsque je reçois une convocation pour aller déposer aux assises. J’y présente les principaux éléments de mon expertise. »
Photos
Dans l’affaire Flactif, Aimé Conigliaro a projeté une présentation PowerPoint dans laquelle les photos de chacune des dents retrouvées ou reconstituées étaient affichées.
Avocat
« Seul l’avocat général m’a posé une question, qui concernait les très petits morceaux de dents retrouvés dans les rainures du parquet du chalet. Il voulait savoir si cet émiettement pouvait être la conséquence d’une pathologie dentaire ».
Coups
« Ou le résultat de coups violents assénés aux victimes. » La réponse de l’expert est retranscrite stricto sensu dans un article du Monde de l’époque, écrit par Pascale Robert-Diard.
Fractures
« Les fractures retrouvées sur les dents postérieures, dont des dents lactéales, ne peuvent s’expliquer que par un ou plusieurs énormes coups portés par un objet contondant ».
David Hotyat.
Jurés
L’information n’a rien d’anodine. Elle va, avec d’autres éléments, permettre aux jurés de se faire un avis sur le déroulement du quintuple meurtre.
Balle
Lors de ses aveux, en septembre 2003, David Hotyat avait en effet confié avoir tué Xavier Flactif, promoteur immobilier aux combines douteuses, en lui tirant accidentellement une balle dans la tête, avant d’abattre Graziella Ortolano et ses enfants pour faire disparaître les témoins du premier homicide.
Expertises
Les expertises d’Aimé Conigliaro et de ses collègues spécialisés en balistique et en analyse de traces de sang, ainsi que l’étude des emplois du temps des membres de la famille, contrediront cette version.
Faits
Les faits se seraient en réalité passés ainsi : lorsque David Hotyat est arrivé, armé, dans le chalet du Grand-Bornand, il a d’abord tué les trois enfants, la forme des taches de sang retrouvées sur un mur étant caractéristique de coups portés par un objet contondant ou de coups-de-poing sur des visages ensanglantés.
Graziella Ortolano
Graziella Ortolano a ensuite été assassinée en entrant dans le chalet, une heure plus tard, d’autres traces de sang évoquant également l’existence de coups portés.
Xavier Flactif
Arrivé le dernier, Xavier Flactif a enfin été abattu. À l’issue du procès d’assises, David Hotyat est condamné à la perpétuité, avec une peine de sûreté de dix ans.
Compagne
Sa compagne, qui a très vite avoué l’avoir aidé à nettoyer de fond en comble le lieu du crime, écope de dix ans de prison ferme.
Amis
Un couple d’amis lui ayant prêté main forte pour déplacer les corps, entre de sept et dix ans. La cupidité, la jalousie et la haine envers une famille mal aimée dans la petite ville auraient été à l’origine de ces meurtres.
Maëlys
Aimé Conigliaro est intervenu sur le meurtre de Maëlys 8 ans. Dans son bureau du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, à Pontoise, Aimé Conigliaro fait une pause. Il propose un café. Deux de ses collègues passent dans le couloir.
Doyen
Ils chambrent le doyen de la maison, celui qui en connaît tous les arcanes. Sur le mur à sa droite, des photos de groupe témoignent de moments de partage avec les équipes de l’IRCGN.
Badges
Des badges à son nom, pendus à des punaises, lui remémorent ses participations annuelles au congrès de l’American Academy of Forensic Sciences.
Fierté
Il y a de la fierté dans les yeux de celui qui a commencé sa carrière un CAP de prothésiste dentaire en poche. Récemment intervenu sur le meurtre de Maëlys, 8 ans, le 27 août 2017 Nordahl Lelandais est mis en examen dans ce dossier, il n’en dit pas un mot, l’évocation des affaires en cours étant proscrit.
Évocation
Mais à l’évocation du crime, un voile pudique brouille un instant son regard. Derrière son apparente bonhomie, Aimé Conigliaro a vu défiler depuis vingt-trois ans tant d’histoires sordides.
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